Les Fléaux en Brionnais après la guerre de cent ans

De la Renaissance  à la Révolution Française, notre pays connut bien des périodes de souffrances. Des épidémies, des famines, des hivers froids ont dévasté les campagnes environnantes de leur population.

Il a été déjà beaucoup écrit sur  les misères du peuple, quelques notes retrouvées dans les archives de Chauffailles permettent de préciser les contours de l’image que l’on peut se faire de notre région entre 1450 et 1720.

Après la longue période de cent ans de guerre entre l’Angleterre, la Bourgogne et la France de l’époque, qui se termina vers 1453 par le succès des Rois capétiens, vinrent successivement :

  1. Le conflit de la Bourgogne avec la Confédération Helvétique et la Lorraine, terminé avec la mort du Téméraire sous les murs de Nancy, dans l’hiver 1477,
  2. puis les guerres dites de Religion entre 1560-1600.

La peste

Après la guerre de cent ans, on retrouve dans la littérature de nombreux récits contant les malheurs des paysans. Le texte qui suit est tiré de l’ouvrage de l’Abbé Comby : « Histoire de Belleroche et des Environs ».

Après les grandes peurs du moyen âge, les gens de nos campagnes du Brionnais et du Haut Beaujolais connurent la peste vers 1450. Une nouvelle épidémie se déclara en 1501-1502, les gens de nos campagnes prirent peur et s’enfuirent dans les bois. Certains villages et certaines villes demeurèrent inhabités. Le peuple s’enfuyait dans les bois et les déserts et se logeait en cet endroit pour garantir leur vie. Là, ils mouraient souvent sans secours, sans aide et sans confession. Ils y habitaient comme des bêtes sauvages, ils vivaient étendus sur la terre dure et étaient exposés aux danger d’être dévorés par les chiens et les loups.

De 1572 à 1576, la peste noire recommença à faire ses ravages. Guillaume Paradin, le moine érudit du Chapitre de Beaujeu cite :

Le 24 juin 1573, il mourut à Beaujeu cinq ou six personnes, dès le début de ce mois, les gens mouraient à Beaujeu et aux villages des alentours comme des mouches ; et l’on enterrait à Beaujeu autant que l’on fait en grande peste. Les poures (pauvres) mouraient de faim et les riches et médiocres qui n’enduraient pas la faim, mouraient de fièvre chaude, les autres d’un flux de sang par le nez. Et il faut bien qu’une telle maladie soit contagieuse car dans une maison, il y avait toujours trois ou quatre malades … Il faut ajouter que nous étions affligés des guerres (de religion) ; et les gens d’armes allaient par les champs faisant des dégâts infinis, outre qu’ils achevaient de manger le peu qu’il restait.

Guillaume Paradin écrit encore :

le blé soille (seigle) valait le 30 juin trois Francs la mesure, le froment se vendait 3 Francs 5 sols », alors que de 1623 à 1683 le froment se vendait au prix moyen de un Franc cinq sols sur le marché de Charlieu. D’octobre 1628 à octobre 1629, la peste fit encore de gros ravages en nos régions. Les registres de Beaujeu indiquent que depuis le 11 juillet 1629 et jusqu’au jour de Saint Etienne, le lendemain de Noël, il ne s’est baptisé aucun enfant dans l’église de Beaujeu. Les femmes enceintes du dit lieu ou ailleurs sont presque toutes mortes à leur accouchement, et leur fruit avec elles. Et il faut noter qu’il est mort ou enterré, dans le cimetière du dit lieu ou ailleurs, mille à douze cents personnes. L’église a été fermée du jour de l’assomption jusqu’à la veille de Noël1.

Une fresque a été peinte par Me Dubouis-Bonnefond en la chapelle de Saint Claude, hameau de Belmont. On retrouve les mêmes récits dans les archives de Saint Symphorien sur Coise.

Les guerres de Religion

En France, elles surviennent d’une rivalité entre les familles, à la fin du règne des Valois, et celles de Lorraine issues des princes Francs. Amorcées par des querelles entre les princes allemands qui ont soutenu la Réforme de Martin Luther et l’Autriche catholique, ces guerres vont conditionner la politique des Rois de la famille de Bourbon envers la puissante famille de Habsbourg et ensanglanteront la France. Des partis se formèrent dans chaque cause (catholique ou protestante). La famille de La Madeleine de Ragny a toujours servi fidèlement la cause des Rois de France. François de la Madeleine2, fut le premier des marquis de Ragny. Seigneur du Banchet à Châteauneuf (71), il fut Page de Henri II, il servit fidèlement Charles IX, Henri III puis Henri IV3.

En 1567, le protestant Poncerrat, dont le vrai nom était de Boué, seigneur de Chanzy près de La Pacaudière, passa dans notre pays en revenant d’une expédition à Cluny. Il traversa Propières et Belleroche, puis Belmont pour retourner dans le Roannais avec une armée d’environ cinq mille hommes4.

Le 23 mai 1570, le calviniste Briquemont s’emparra des villes et forteresses de Lay et Thizy ; il échoua devant Cours et Charlieu. Nous savons que Louis de Damas, seigneur d’Estieuges à Cours avait repoussé cette attaque avec l’aide de ses gens. La même année, Coligny et ses soldats traversèrent le Forez et le Roannais venant du midi. Ils emmenaient à Paris Henri de Navarre, le futur Roi 5.

En 1576, des troupes de reîtres pillèrent le nord et les environs de Roanne. En 1579, le baron des Adrets arriva à Beaujeu. Le chef envoya quelques soldats détruire les églises de la montagne, celle de Propières est saccagée, comme le fut aussi celle de Bois Sainte Marie que l’on incendia. En 1573, Charles IX envoya Nicolay, géographe faire un relevé du pays6.

Cependant, on lit dans les notes de Henri Lamure7 :

De 1560 à 1600, la guerre civile de religion qui ravageait la France n’épargna pas notre région. L’Abbaye de Saint-Rigaud, vieille de près de six cents ans, était construite à Ligny en Brionnais. Elle fut prise et pillée par les protestants, puis reprise par les catholiques ayant à leur tête Antoine d’Amanzé8, Seigneur de Fougères et d’Anglure.

A la suite du passage des protestants, un habitant de St-Rigaud nommé Léonard Chérand demanda au dit Seigneur d’Amanzé de lui restituer ses meubles qu’il avait déposé à l’Abbaye, pendant les guerres de religion. Il demandait en outre que l’on congédia et qu’on fisse guider hors de l’Abbaye sa femme Jeanne Chérand, détenue contre son gré. Mais, la plupart des biens de Léonard avaient été pillés par les soldats lors de l’attaque de l’Abbaye. Un procès de saisie des revenus eut lieu contre l’Abbé Jean Dumas qui, ne pouvant plus payer, alléguait que le trésor avait été épuisé par la solde des gens de guerre qu’il avait dû entretenir. Un ordre signé de Henri de Bourbon, prince de Condé vint soulager le pays. Cet ordre portait défense à tous gens de guerre de loger, prendre fourrage, vivres, munitions, chevaux ou autres choses, soit de l’Abbaye de Saint-Rigaud ou dépendances, soit dans la terre de Chauffailles. Un brevet de Henri IV permet à Jean de Villecourt de résillier ses fonctions en faveur de Claude Gaspard, seigneur Abbé. Ce dernier trouva un monastère délabré :

Le lustre de cette pauvre et désolée maison est tellement flétri et obscurci qu’il ne reste plus que l’idée, une ombre ou pour mieux dire une misérable souvenance. Deux mille Livres ne suffiraient pas à remettre les édifices en leur entier, le clocher découvert, l’église sans reliquaires, ordonnements, bancs, livres, etc…, le colombier abattu, la plupart des maisons déplanchées, les granges et étables inhabitables pour n’y avoir portes, fenêtres ni verroux.

Cet exposé nous montre la ruine de l’Abbaye et la désolation de nos campagnes causée par la lutte fratricide entre protestants et catholiques.

Claude Gaspard remet de l’ordre dans l’Abbaye, ordonne aux serfs de la région de faire les réparations aux murs de cloître, ainsi que le curage des étangs et fossés, vend les dîmes de divers pays, notamment celle de Chauffailles, au baron de Chauffailles.

Rapidement l’Abbaye se restaure et sous Laurent Gaspard qui lui succède, voit revenir sa puissance et sa splendeur passées. Ses chefs redevenus d’arrogants seigneurs bravent en maintes circonstances les ordres du Roi.

Les suites des guerres de religion

Un document trouvé par Henri Lamure dans les archives de Charolles nous met au courant de cette nouvelle suprématie du fief de l’Abbaye :

En 1667, vivait à Châteauneuf un nommé Bonaventure Ducarre, notaire royal qui fut tué par le Sieur Antoine Décligny, avocat à Châteauneuf9. Le Sieur Décligny avait un frère et un parent Abbés, tous deux de la domination de l’Abbaye de Saint-Rigaud. Son meurtre accompli, Antoine Décligny se réfugia dans l’Abbaye. Un huissier fut chargé d’exécuter la commission de prise de corps et de s’emparer de l’assassin.

Voici le procès verbal dressé par cet huissier :

Ayant appris que le Sieur Décligny s’est retiré dans l’Abbaye de Saint-Rigaud, m’y étant acheminé où étant entré, ayant été aperçu par le Sieur Décligny, ce dernier s’étant enfermé dans une chambre haute, n’ayant trouvé que la Dame du dit Sieur, qui était dans une chambre basse, à l’instant survint Messire Laurent Gaspard Abbé avec deux de ses religieux. Je lui ai si humblement démontré et fait lecture de ma commission, le priant de la part de sa Majesté de me permettre de faire perquisition de la personne de Décligny.

Le Sieur Abbé m’a fait cette réponse :

« Qui t’a fait si hardi d’entrer dans mon Abbaye sans mon consentement ? »

Et que moi et mes témoins ayant présentement à nous retirer. Sous protestation de rendre l’Abbé responsable de la personne de Décligny et de demeurer et de séjourner autour des murailles et portes, jusqu’à ce qu’il ait été ordonné sur le présent procès verbal.

M’étant retiré avec mes témoins jusqu’à deux ou trois cents pas des dites portes et murailles où j’ai séjourné et demeuré jusqu’au lendemain. Sur l’heure de midi survint l’Aumonier du sieur Abbé lequel dit :

« Que faites vous là messieurs retirez-vous, je vous le dis de la part de l’Abbé, sinon on vous fera sortir, retirez-vous bientôt, sinon l’on vous fera charger. »

Avoir fait assembler alors mes témoins pour nous retirer à Châteauneuf. A l’instant, le Sieur Abbé fit sortir de l’Abbaye deux chars de deux boeufs chacun et les conduisit sur la chaussée de l’un des étangs dans le chemin que nous passions, où ils dressèrent embuscade ; laquelle faite, le Sieur Abbé avec plus de soixante à quatre vingt hommes armés seraient sortis, de sorte qu’il y eut deux de mes témoins blessés grièvement par une décharge de quinze à seize coups de fusils, ce qui nous a obligé de nous retirer en diligence.

La poursuite des Protestants

A cette puissance de droit d’Asile de l’Abbaye se joint, sur l’objet de dénonciations, la puissance de la persécution religieuse qui se manifeste envers les familles de nouveaux convertis au protestantisme. C’est ainsi que seize familles de la région sont poursuivies parce qu’elles ne vont point à confesse et qu’elles furent condamnées à 10 Livres10 d’amende pour avoir répondu à leurs accusation en demandant le temps à réfléchir à ce qu’elles doivent faire.

Une autre dénonciation est faite au sujet de la mort de Marguerite Fanjoux, femme de Jean Morand, cordonnier, ladite femme nouvellement convertie étant morte sans avoir reçu les sacrements. Le sieur Morand et son fils cachèrent le corps pour éviter le martyr du cadavre. Jean Morand et son fils furent conduits en prison à Charolles. Le père mourut en prison ne voulant point dire où il avait mis le corps de sa femme et ne point se confesser.

On interroge le fils âgé de 18 ans. Il répond qu’il n’a pas abjuré et qu’il suivra la religion de son père, que c’est lui et son père qui ont porté le corps de sa mère dans un endroit qu’il ne veut pas désigner. Une sentence en suivit qui porte :

Qu’il sera fait une figure de cire de ladite Fanjoux, laquelle sera traînée sur le derrière d’une charrette, avec écrit en grosses lettres attaché à ladite figure et portant ces mots :

« C’est ici la représentation du corps de la dite Fanjoux, morte relapse. »

Que le corps dudit Morand sera aussi traîné derrière la même charrette, tous deux la face contre terre dans les rues et de là jetés à la voirie.

Qu’à l’égard de leur fils nous ordonnons qu’il sera pris et saisi au corps et amené aux prisons royales de Charolles pour être interrogé sur son obstination et dessein de vivre et mourir hors la religion catholique, et fut envoyé dans les compagnies du Roi.

… Noël1
Archives du Rhône, E, supp. 1
… Madeleine2
né 1543, décédé en 1636, lieutenant de Roi en Bresse et Charolais, maréchal de camp.
… IV3
Le marquisat de Ragny comprend : Marmeau, Saulx, Trivilly, Varennes, Brécy, Beauvoir, Tronçois, Tréviselot, Sauvigny-le-Boréal et Savigny
… hommes4
Vincent Dunant, Histoire de Charlieu, p 26
…5
Henri Coste, .Essai de l’Histoire de Roanne, page 195
… pays6
Il existait encore un terrier de Fougères à Poule qui aurait été déposé à Villefranche dans des archives ? La série 17G qui concerne Beaujeu, déja citée dans nos notes se trouve aux archives départementales du Rhône. Beaucoup de titres et redevances ayant été brûlés entre 1560 et 1590, lors des guerres de religion, peu de documents terriers ont donc subsisté.
… Lamure7
Herni Lamure a écrit une histoire de Chauffailles avec des notes trouvées en Mairie, vers 1930, non publié.
…8
Sans doûte le fils de Guillaume et Françoise de La Guiche qui épousa Françoise de Damas, Dame d’Estieugues en 1613 et donna les seigneurs comte de Chauffailles.
… Châteauneuf9
Une chapelle fut érigée dans l’ancienne église de Saint Maurice les Châteauneuf,
… Livres10
A cette époque une vache allaitante vallait environ 30 Livres.